L’IA au Festival de Cannes : industrie du cinéma augmentée ou créativité menacée ?

 

En parallèle du Festival de Cannes, l’événement techCannes a tenu sa deuxième édition. Né de la volonté de créer un espace de dialogue entre le monde de la tech, les investisseurs et les professionnels du cinéma, le rendez-vous s’impose comme un lieu de réflexion autour de l’impact de la transformation numérique sur l’audiovisuel.

 

L’intelligence artificielle bénéficie-t-elle d’un tapis rouge de la part de l’industrie du cinéma à Cannes ? Les avis sont évidemment partagés. La grève des scénaristes et des acteurs à Hollywood, en 2023, a mis sur le devant de la scène la prise de conscience de tout le secteur. Historiquement, l’industrie audiovisuelle a toujours su intégrer les révolutions technologiques : l’arrivée du son, de la couleur, des effets spéciaux numériques, de la 4K ou du streaming ont successivement redéfini les modes de production, de distribution et de consommation. L’intelligence artificielle s’inscrit dans cette continuité mais reste bien plus radicale dans son potentiel. De quoi inquiéter les entreprises qui travaillent dans le secteur. « Il nous faut multiplier les débats et les échanges parce que je pense que c’est comme cela que l’on va faire avancer les discussions et imaginer des solutions collectivement ». Pour Sarah Lelouch, fondatrice et présidente du techCannes Business Club, la mission est claire : réunir les écosystèmes, nourrir le débat, proposer un cadre de régulation, et faire émerger des recommandations concrètes à destination des pouvoirs publics, afin de favoriser ce tournant technologique majeur.

 

Réunir les industries cinématographiques et technologiques

 

L’événement techCannes, qui s’est déroulé du 17 au 19 mai durant le Festival de Cannes, veut porter un message fort sur le rôle de l’IA dans la création : « Il faut démontrer que l’IA n’est absolument pas la perte de la création mais bien au contraire, les artistes doivent voir ça comme une innovation », insiste Sarah Lelouch, qui rappelle que « s’il n’y a pas d’artistes pour mettre en scène l’innovation, elle ne sert strictement à rien ». Pendant trois jours, le programme a donc enchaîné déjeuners privés, cocktails, workshops et tables rondes, réunissant les grands noms de l’industrie cinématographique et de la Tech, ainsi que des représentants du ministère de la Culture. Les discussions sont principalement axées sur les usages de l’IA, les réseaux sociaux, le droit d’auteur et les enjeux de régulation. Aussi, quinze start-ups sont venues présenter des solutions concrètes pour accompagner une autorégulation du secteur. Un concours leur est même dédié, afin de valoriser les technologies émergentes susceptibles de répondre aux défis juridiques et créatifs posés par l’IA.

 

L’IA menace certains métiers…

 

Si le grand public peine encore à distinguer un film “augmenté” par IA d’un film aux effets spéciaux classiques, les professionnels, eux, perçoivent déjà fortement le changement. « L’IA nous a fait gagner du temps et a facilité certaines tâches », explique Sarah Lelouch. Cette évolution soulève cependant la question de la pérennité de certains métiers. Des postes, comme celui de doubleur, sont directement menacés, mais d’autres émergent en parallèle. « Des métiers ont disparu mais d’autres sont d’ores et déjà apparus », souligne la présidente. Des profils comme coachs d’IA ou superviseurs créatifs deviennent indispensables dans les processus de production augmentée.

 

…mais reste un outil au service des artistes

 

« Je fais partie de celles qui n’ont pas peur d’utiliser l’IA et qui l’encouragent fortement à le faire. Ce nouvel outil multiplie les forces de propositions, il suffit juste de le réglementer » croit pour sa part Sarah Lelouch. Et la présidente de techCannes d’insister sur les limites actuelles de la machine : « l’IA n’a pas d’imagination ni d’extension. Il y a un vrai travail à mener sur ce sujet ». Les jeunes auteurs et scénaristes semblent d’ailleurs plus enclins à adopter ces technologies, qu’ils utilisent comme un soutien contre la page blanche notamment. Enfin, preuve que l’IA peut aussi enrichir la performance artistique, un exemple récent s’est imposé comme un symbole : l’usage de l’intelligence artificielle pour améliorer l’accent d’Adrien Brody dans The Brutalist, un film qui a remporté un Oscar. « Je trouve ça formidable, parce que quand on fait du cinéma, c’est qu’on a envie de montrer des scènes, de les rendre les plus réelles possibles… et l’IA aide à cela. » conclut la présidente.

 

Photo : L’hôtel Carlton, sur le boulevard de la Croisette, le jour de l’ouverture de la 78e édition du Festival de Cannes, le 13 mai 2025 (Ian Langsdon – AFP)